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Shakespeare
La méconnaissance
La jalousie aveugle la raison. La conscience jalouse (ou plutôt l’inconscience jalouse) tient une place essentielle dans le désir mimétique. Elle se nourrit de sa propre ignorance, que René Girard désigne sous le vocable de méconnaissance : c’est ma conscience déformée qui me fait penser que ce n’est pas moi qui suis jaloux des autres, mais que ce sont tous les autres qui m’en veulent. Ce thème est lumineusement détaillé au sonnet 61, un poème remarquablement construit sur un jeu de questions-réponses :
Is it thy spirit that thou send’st from thee
So far from home into my deeds to pry,
To find out shames and idle hours in me,
The scope and tenour of thy jealousy ?
Est-ce ton esprit que tu pousses loin de toi,
Qui vient jusque chez moi, pour percer mes secrets,
Pour débusquer ainsi mes heures de paresse,
Qui pourrait être cause que tu es jaloux ?
On dirait du pur Girard. Nous avons affaire à du pur Shakespeare... Ce paradoxe particulier, que René Girard appelle par ailleurs l’hyperconscience mimétique, est décrit ainsi dans Les Feux de l’envie : « Si l’objet n’est pas assez éloigné de celui qui le regarde, si celui-ci ne parvient pas à s’en détacher suffisamment, la lumière produite par l’hyperconscience mimétique devient trop éblouissante pour se résoudre en certitude. […] L’intuition mimétique est inutile à celui qui la possède ─ et même pire qu’inutile s’il la remet toujours au service du désir. »
Le dévoilement complet de cette méconnaissance se trouve, logiquement, dans l’un des tout derniers sonnets, le 151, dans lequel Shakespeare évoque clairement un manque de conscience, un défaut de conscience, ou une conscience déficiente : « want of conscience ».
Extrait de Shakespeare et son double.
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La musique, la perfection
Si Dieu n’existe pas, il a bien tort. Il se prive d’entendre le deuxième concerto pour piano de Chostakovitch.
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Théorie mimétique
Charlie Chaplin, un Essai de Jean Nayrolles
présenté par Jean-Marc Bourdin
D’abord malfaisants dans ses premiers films, les personnages joués par Charlie Chaplin se muent progressivement en ce Charlot bienfaisant quoique toujours cynique, agressif et querelleur. Dès qu’il commence à prendre le contrôle des films qu’il interprète, le cinéaste traite en priorité des rivalités de doubles et du désir mimétique amoureux, tout en ayant l’intuition des réconciliations permises par des boucs émissaires. Il n’hésite d’ailleurs pas à recourir à des personnages de souffre-douleur. Pourtant, au terme de cette mue commencée tôt, une véritable conversion s’opère. Il s’éloigne des situations de rivalité et de violence omniprésentes à ses débuts. Comme s’il avait perçu le désir mimétique comme origine du mal mieux que les autres cinéastes, aidé en cela par la mécanique du burlesque et la contrainte du muet. Chaplin mettra ainsi son personnage, à la fois misérable et grandiose, dans la situation de l’ouvrier taylorisé des Temps modernes et de celui d’un Dictateur et de son double malgré lui, au sommet d’une création où, seul contre l’industrie culturelle du cinéma, il reste fidèle à la puissance incomparable du burlesque muet.
D’égoïste et cynique, Charlot devient dans les années 1920 altruiste et compatissant, plein d’abnégation et prompt au sacrifice.
La victime innocente occupe désormais de plus en plus souvent dans la filmographie chaplinienne le centre du récit et devient bouc émissaire comme dans Le Cirque, le rôle dévolu au personnage de Charlot étant alors de révéler cet ordre sacrificiel à lui-même, sans en avoir conscience et sans au demeurant parvenir à y mettre fin. Le cirque est présenté comme un espace sacrificiel au sein duquel la foule expulse le clown sans talent ou est captivée par le risque mortel qu’encourt le funambule.
Jean Nayrolles apporte une nouvelle preuve de la fécondité de la théorie mimétique pour analyser les œuvres géniales. Il nous montre le parcours d’un génie qui, tel le grand écrivain chez René Girard ou le grand plasticien dans ses précédents essais, dévoile au fur et à mesure de son œuvre les ressorts du désir mimétique qui nous anime et de l’ordre sacrificiel dont nous ne parvenons jamais à nous affranchir.
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Que faire de la violence ?
Y renoncer !
Source France Info
Il y a trop de pub pour la violence. Infiniment trop. Il n’y a que ça.
Depuis plus de deux décennies, la publicité pour le tabac a été censurée et celle pour l’alcool a été très limitée. Bravo. Qu’en est-il de la publicité pour la violence ? Elle est partout. Vous ne pouvez pas assister à une séance de cinéma sans voir défiler, en prélude, une série de meurtres spectaculaires, sur grand écran, et particulièrement violents. La télévision déborde, chaque soir, de séries meurtrières, et elles ont de plus en plus réalistes. Sont-elles accompagnées d’un avertissement judiciaire rappelant que le meurtre est puni de lourdes peines de prison… ? Pas du tout. On aperçoit furtivement une annonce « déconseillé pour les moins de 10 ans » et aux « personnes sensibles ». Déconseillé ? Même pas interdit.
La morale ayant totalement disparu de notre instruction, où les « enfants perdus de la République » vont-ils chercher leurs modèles ? Au cinéma, justement, et à la télévision. Le cinéma et la télévision, les médias en général, ont-ils à craindre d’être soupçonnés « d’incitation au crime » ? Jamais de la vie !
Où est passée la conscience ?
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Contradictions
Qu’est-ce qui nous rassemble ?
L’obsession de nos contemporains pour la diversité est une notion ambiguë. Elle est faussement démocratique. Elle prétend rassembler, puisqu’il ne faut exclure aucune minorité, et en même temps, elle affirme le droit absolu de chacun à la différence. Le « droit à la différence », en se prétendant un droit « universel », est un oxymore. Un droit sans limite n’est plus un droit, c’est un caprice. C’est un « droit » sans loi, garanti par aucune transcendance, puisque chacun tend à s’ériger comme l’auteur de sa propre loi... Comment « inclure » les diversités ? Les seules choses qui peuvent nous rassembler, ce sont nos ressemblances. Disons : nos ressemblances multiples et infiniment variées.
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