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Théorie mimétique
Charlie Chaplin, un Essai de Jean Nayrolles
présenté par Jean-Marc Bourdin
D’abord malfaisants dans ses premiers films, les personnages joués par Charlie Chaplin se muent progressivement en ce Charlot bienfaisant quoique toujours cynique, agressif et querelleur. Dès qu’il commence à prendre le contrôle des films qu’il interprète, le cinéaste traite en priorité des rivalités de doubles et du désir mimétique amoureux, tout en ayant l’intuition des réconciliations permises par des boucs émissaires. Il n’hésite d’ailleurs pas à recourir à des personnages de souffre-douleur. Pourtant, au terme de cette mue commencée tôt, une véritable conversion s’opère. Il s’éloigne des situations de rivalité et de violence omniprésentes à ses débuts. Comme s’il avait perçu le désir mimétique comme origine du mal mieux que les autres cinéastes, aidé en cela par la mécanique du burlesque et la contrainte du muet. Chaplin mettra ainsi son personnage, à la fois misérable et grandiose, dans la situation de l’ouvrier taylorisé des Temps modernes et de celui d’un Dictateur et de son double malgré lui, au sommet d’une création où, seul contre l’industrie culturelle du cinéma, il reste fidèle à la puissance incomparable du burlesque muet.
D’égoïste et cynique, Charlot devient dans les années 1920 altruiste et compatissant, plein d’abnégation et prompt au sacrifice.
La victime innocente occupe désormais de plus en plus souvent dans la filmographie chaplinienne le centre du récit et devient bouc émissaire comme dans Le Cirque, le rôle dévolu au personnage de Charlot étant alors de révéler cet ordre sacrificiel à lui-même, sans en avoir conscience et sans au demeurant parvenir à y mettre fin. Le cirque est présenté comme un espace sacrificiel au sein duquel la foule expulse le clown sans talent ou est captivée par le risque mortel qu’encourt le funambule.
Jean Nayrolles apporte une nouvelle preuve de la fécondité de la théorie mimétique pour analyser les œuvres géniales. Il nous montre le parcours d’un génie qui, tel le grand écrivain chez René Girard ou le grand plasticien dans ses précédents essais, dévoile au fur et à mesure de son œuvre les ressorts du désir mimétique qui nous anime et de l’ordre sacrificiel dont nous ne parvenons jamais à nous affranchir.
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