• Le multiple et le singulier

     

    Les roses et le petit prince

     

       ― Bonjour, dit-il.

       C’était un jardin fleuri de roses.

       ― Bonjour, dirent les roses.

       Le petit prince les regarda. Elles ressemblaient toutes à sa fleur.

       ― Qui êtes-vous ? leur demanda-t-il, stupéfait.

       ― Nous sommes des roses, dirent les roses.

       ― Ah ! fit le petit prince...

       Et il se sentit très malheureux. Sa fleur lui avait raconté qu’elle était seule de son espèce dans l’univers. Et voici qu’il en était cinq mille, toutes semblables, dans un seul jardin !

       « Elle serait bien vexée, se dit-il, si elle voyait ça... elle tousserait énormément et ferait semblant de mourir pour échapper au ridicule. Et je serais bien obligé de faire semblant de la soigner, car, sinon, pour m’humilier moi aussi, elle se laisserait vraiment mourir... »

       Puis il se dit encore : « Je me croyais riche d’une fleur unique, et je ne possède qu’une rose ordinaire.  Ça et mes trois volcans qui m’arrivent au genou, et dont l’un, peut-être, est éteint pour toujours, ça ne fait pas de moi un bien grand prince... » Et couché dans m’herbe, il pleura.

     

                                             Antoine de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Les Sonnets

     

      *

     

    Trop de virtuosité ?

     

    Les Sonnets représentent moins de 1,5% de l’intégralité de l’œuvre imprimée que nous avons conservée de Shakespeare, mais quelle richesse ! Quelle grandeur ! Et quelle puissance ! Il faut se convaincre que les Sonnets ne sont pas moins riches et moins profonds que les pièces de théâtre que les critiques (ou les traducteurs) ont toujours tendance à privilégier au détriment de la poésie. Helen Vendler, éminente professeure à Harvard et auteure d’une imposante étude intitulée The Art of Shakespeare’s Sonnets, s’excuse en ces termes : ‘Very few lyrics offer the sort of philosophical depth that stimulates meaning-seekers in long, complex and self-contradicting texts like Shakespeare’s plays.’ « Très peu de poèmes présentent une profondeur philosophique équivalente à celle qui stimule les personnes qui recherchent un sens dans les textes longs, complexes et contradictoires que l’on rencontre dans les pièces de Shakespeare.»

       Il me semble, au contraire, que les Sonnets sont largement aussi riches de sens que les comédies et les tragédies, et ce qui est étonnant, dans un espace infiniment plus restreint, avec une économie de moyens bien plus grande ! Il est impossible de croire que Shakespeare ne les a pas pris au sérieux.

     

       Le paradoxe à surmonter est celui de la « virtuosité ». Les Sonnets sont tellement beaux que leur éclat cache l’essentiel ! La « virtuosité » fait souvent écran et ne facilite pas toujours l’accès au « sens ». Pour Shakespeare, elle était le reflet de la complexité de sa pensée. Pour certains « formalistes », elle est un objet d’étude suffisant en lui-même. Pour beaucoup, elle est un obstacle supplémentaire à la compréhension de son génie, mais elle peut aussi être la clé qui donne accès à sa richesse infinie. Je peux ici reprendre à mon compte l’ingénieuse introduction du sonnet 52 : 

          

            So am I as the rich whose blessed key

           Can bring him to his sweet up-lockéd treasure. 

     

            Je ressemble à un riche ayant une clé d’or

            Qui donne seule accès à son trésor caché.

     

     

    * L'image ci-dessus est très improbable. William Shakespeare n'a jamais

    fait partie d'un cercle littéraire. Il était beaucoup trop secret, en particulier

    pour l'écriture de ses sonnets.

     

     

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Éducation

     

    Éducation positive, dites-vous ?

     

    Laxisme ou discipline, quelle est la bonne « technique » pour élever un enfant ? La controverse soulevée par la psychologue Caroline Goldman* a tout d’académique. Les « experts » en science de l’éducation et autres neurosciences s’écharpent à qui mieux mieux. Ils ne tolèrent, en matière d’éducation, que les savoirs « testés en laboratoire » et validés par eux. Querelles de Trissotins. Autant dire qu’ils n’aiment que la théorie de l’éducation, une éducation sans enfants réels ! La pauvre psychologue est donc renvoyée sine die à ses études.

       Rappelons que la tolérance totale qui a conduit à la génération d’enfants-rois insupportables que nous connaissons aujourd’hui est le produit de la civilisation libérale de la deuxième moitié du XXe siècle. Les parents ne voulaient pas de contraintes, ils n’en ont donné aucune à leurs enfants : ceux-ci sont devenus leur alibi. Cela a donné la zéro censure sur Internet et des gosses exécrables !

       Féliciter des enfants mal élevés revient à envoyer une salve d’applaudissements à leur géniteurs irresponsables. C’est aussi soumettre « les petits » à la tyrannie de leurs pairs. « L’autorité d’un groupe, fût-ce un groupe d’enfants, est toujours beaucoup plus forte et beaucoup plus tyrannique que celle d’un individu, si sévère soit-il. […] Affranchi de l’autorité des adultes, l’enfant n’a donc pas été libéré, mais soumis à une autorité bien plus effrayante et vraiment tyrannique : la tyrannie de la majorité. » (Hannah Arendt, La crise de l’éducation, 1972) Cela donne aujourd’hui la génération des collectionneurs de likes, celle des youtubeurs et des influenceurs.

       La véritable question à poser est celle du jugement. Les enfants ont besoin du jugement des adultes, il leur est constitutif **. Au lieu d’apprendre le laxisme (rebaptisé « liberté ») aux enfants, on ferait mieux d’enseigner la responsabilité aux adultes. Eux-mêmes savent si mal s’autoréguler ! Comme modèles, ils sont nuls.

       Soyons explicite. Ce n’est pas la sanction que les enfants redoutent, c’est l’injustice. Sachant cela, adaptez votre conduite aux événements. 

     

     

    * File dans ta chambre ! Offrez des limites éducatives à vos enfants, éditions Dunod.

    ** Voir l’article Réflexions sur le jugement page 33.

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Récit du désir  

     

     

    « Pourquoi vouloir nommer le mystère ? Ne puis-je me satisfaire d’être ébloui ?

       Regarder. Abolir cette distance infime, cette distance immense entre moi qui te cherche et toi qui me cherches. Fondre. Me fondre. Être toi. »

     

                                      Extrait de Récit d’une Passion.

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Poésie 

     

    Saint John Perse 

     

    Au cœur de l’homme, solitude.

    Étrange l’homme, sans rivage, près de la femme, riveraine.

    Et mer moi-même à ton orient, comme à ton sable d’or mêlé, que j’aille encore et tarde, sur ta rive, dans le déroulement très lent de tes anneaux d’argile... femme qui se fait et se défait avec la vague qui l’engendre.

    Amers

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire