• Enfance 

     

    Merveilleuse dépendance

     

    L’enfance est un paradis. C’est bien ainsi que nous nous en souvenons. Il faut donc qu’elle le soit un peu. Or, c’est l’âge de notre plus grande dépendance. Ceux qui nous rabâchaient, à longueur de jeunesse, « Quand tu seras grand... », voulaient nous convaincre de renoncer à ce confort, de lâcher prise, d’abandonner notre environnement rassurant, ils vantaient une autonomie qui ne les rendait pas heureux eux-mêmes et qui (peut-être) n’existe pas !

       La nostalgie de l’enfance est certainement liée à l’attachement que nous avons connu, que nous avons perdu, mais dont nous gardons le souvenir sensible. Faut-il, pour être adulte, se défaire de tous ses liens ? Les « autonomes détachés de tout », les petits individus selfiques qui fanfaronnent ne peuvent pas être sincères. Le tapage qu’ils font autour de leur soi-disant liberté est un peu trop fort, trop voyant. Le seul vrai bonheur c’est d’être contre sa mère et de ne penser à rien. Le bonheur est une soumission, une acceptation de nos liens, c’est le renoncement à notre autonomie. Tel est le sentiment d’apesanteur que procure l’abandon de tout. Ce n’est pas un état sans contrainte, mais plutôt la béatitude de se sentir recueilli. Le bonheur ne se trouve pas dans la lutte. Au contraire, il advient lorsque l’on cède. Le bonheur est peut-être le contraire de la liberté.

       Tous les amoureux savent ça !

     

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  • Hamlet ad libitum 

     

    La prière du Roi

     

           Claudius. Oh, my offence is rank. It smells to heaven.

         It hath the primal eldest curse upon ’t,

         A brother’s murder. Pray can I not.

         Though inclination be as sharp as will,

         My stronger guilt defeats my strong intent,

         And, like a man to double business bound,

         I stand in pause where I shall first begin,

         And both neglect.

                              […] Whereto serves mercy

         But to confront the visage of offence?

         And what’s in prayer but this twofold force,

         To be forestallèd ere we come to fall

         Or pardoned being down ? Then I’ll look up.

         My fault is past. But oh, what form of prayer

         Can serve my turn, “Forgive me my foul murder” ?

         That cannot be, since I am still possessed

         Of those effects for which I did the murder :

         My crown, mine own ambition, and my queen.

         May one be pardoned and retain th' offense ?

         In the corrupted currents of this world

         Offense’s gilded hand may shove by justice,

         And oft ’t is seen the wicked prize itself

         Buys out the law. But ’t is not so above.

         There is no shuffling. There the action lies

         In his true nature, and we ourselves compelled,

         Even to the teeth and forehead of our faults,

         To give in evidence. What then? What rests?

         Try what repentance can. What can it not?

         Yet what can it when one can not repent?

         O wretched state! O bosom black as death!

         O limèd soul that, struggling to be free,

         Art more engaged ! Help, angels. Make assay.

         Bow, stubborn knees, and, heart with strings of steel,

         Be soft as sinews of the newborn babe.

         All may be well.  

     

           CLAUDIUS. – Ah, ma faute pue, elle sent jusqu’au ciel.

         Sur elle tombe la première et plus ancienne malédiction :

         Celle du meurtre d’un frère ! Prier, j’en suis incapable,

         Bien que j’en aie le désir autant que la volonté.

         Ma faute est trop grande, elle anéantit toute résolution.

         Et comme un homme engagé dans deux actions à la fois,

         J’hésite en ignorant par laquelle commencer,

         Et n’en accomplis aucune.

                                       […] À quoi sert la grâce

         Sinon à regarder le péché en face ?

         La prière ne contient-elle pas cette double force,

         Celle de nous retenir avant la chute,

         Et celle de nous pardonner quand nous avons chuté ? Il me suffit d’ouvrir les yeux :

         Ma faute, c’est du passé ! Mais quelle forme de prière

         Peut me sauver, là où j’en suis ? Absoudre mon meurtre épouvantable !

         C’est impossible, puisque je possède encore

         Les bénéfices du meurtre que j’ai commis :

         Ma couronne, mon ambition, ma reine.

         Peut-on être pardonné et être toujours fautif ?

         Dans ce monde aisément corrompu,

         La main coupable mais riche fait parfois dévier la justice :

         On voit souvent le prix du crime ignoble

         Acheter la loi. Mais il en va autrement là-haut.

         Là, pas de contestation, là, l’action s’expose

         Dans sa vraie nature ; et nous sommes obligés,

         Devant les fautes qui nous éclaboussent,

         De reconnaître l’évidence. Et ensuite ? Que reste-t-il ?

         Essayer le repentir ; de quoi n’est-il pas capable ?

         Mais de quoi est-il capable quand on est incapable de se repentir ?

         Ô, misérable condition ! Ô, le cœur noir comme la mort !

         Ô mon âme tout engluée, en te débattant pour être libre,

         Tu t’enfonces davantage ! Au secours, les anges ! Faites quelque chose.

         Vous, mes deux genoux raidis, pliez-vous ; et toi, cœur d’acier,

         Assouplis-toi comme les membres d’un nouveau-né,

         Tout n’est peut-être pas perdu.

     

    Acte III, scène 3.

     

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  • Poésie 

     

     

    L’Île

    Marie Noël

     

    Solitude au vent, ô sans pays, mon Île,
    Que les barques de loin entourent d’élans
    Et d’appels, sous l’essor gris des goélands,
    Mon Île, mon lieu sans port, ni quai, ni ville,

     

    Mon Île où s’élance en secret la montagne
    La plus haute que Dieu heurte du talon
    Et repousse… Ô Seule entre les aquilons
    Qui n’a que la mer farouche pour compagne.

     

    Temps où se plaint l’air en éternels préludes,
    Mon Île où l’Amour me héla sur le bord
    D’un chemin de cieux qui descendait à mort,
    Espace où les vols se brisent, Solitude.

     

    Solitude, Aire en émoi de Cœur immense
    Qui sans cesse jette au large ses oiseaux,
    Sans cesse au-dessus d’infranchissables eaux,
    Sans cesse les perd, sans cesse recommence.

     

    Désolation royale, terre folle
    Que berce l’abîme entre ses bras massifs,
    Mon Île, tu tiens un Silence captif
    Qu’interroge en vain la houle des paroles.

     

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  • Nos communs 

     

    La grande conversion

     

    Comment allons-nous sortir des crises accumulées dont nous, les humains, sommes les seuls responsables ? Avons-nous les moyens, tout seuls, de corriger nos propres fautes ?

       Dans Des choses cachées depuis la fondation du monde, René Girard parle d’une épiphanie de l’Homme, ce que Jésus appelle le « Royaume ». « Le Royaume, commente René Girard, c’est l’amour substitué aux interdits et aux rituels, à tout l’appareil des religions sacrificielles. [...] Il s’agit toujours de réconcilier les frères ennemis. [...] Seul le renoncement inconditionnel et, s’il le faut, unilatéral, à la violence, peut mettre fin au rapport des doubles. [...] Pour sortir de la violence, il faut, de toute évidence, renoncer à l’idée de rétribution. »

       Mais comment imaginer les humains capables d’un tel « renoncement inconditionnel », seront-ils jamais capables de « renoncer à l’idée de rétribution » ?

       De son côté, Gaël Giraud propose (dans Composer un monde en commun : Une théologie politique de l’AnthropocèneÉditions du Seuil, 2023), une mise en commun des biens et services à l’image de ce qui se fait traditionnellement en Afrique. Mais ce qui est possible dans un village du Sahel est-il compatible avec notre « village global » ? Gaël Giraud y croit et il s’est associé à un économiste sénégalais, Felwine Sarr, pour proposer une Économie à venir (Les liens qui libèrent, 2022). Voilà des pistes très intéressantes.

      La grande question, en définitive, est celle de la conversion des humains de leur mensonge romantique de prospérité infinie à une vérité (plus romanesque, dirait Girard) de partage, pas seulement des richesses, mais surtout des savoirs, des cultures, de tous nos « biens communs ». Y parviendrons-nous poussés par la nécessité (et la menace de la catastrophe), ou bien nous faudra-t-il une aide extérieure ? Je n’exclus pas une médiation externe, appelons-la « divine ». Évidemment, nous en sommes loin, tant que nous nous prenons pour des « hommes des Lumières » bien décidés à nous débrouiller sans l’aide de personne. Comment nous débarrasser de notre vanité ?

     

     

     

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  • Créer des liens

     

    La force du lien 

       « Je les tirai avec des liens d’humanité, avec des cordages d’amour. » 

                     Osée 11, 4.

     

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