• Apocalypse

     

    Faute de résolution sacrificielle

     

    Nous n’avons plus à craindre la menace d’un effondrement climatique majeur. Nous sommes déjà entrés dans la crise. Imaginer, béatement, que nous pourrons juguler la hausse des températures d’ici... 2100, c’est annoncer que demain on rasera gratis !

       Nous n’en sommes plus, non plus, à rechercher des coupables. D’abord parce que nous les connaissons et que beaucoup d’entre eux sont morts : les capitaines d’industrie et les capitalistes du XIXe siècle, par exemple. Ceux qui ne sont pas morts (moi, parmi d’autres, qui en ai bien profité depuis plus de 70 ans !) ne vont pas tarder à céder la place. Les éliminer (ou m’éliminer, moi) ne rassurera personne.

       De toute façon, nous n’en sommes plus à la chasse aux coupables pour l’excellente raison que nous sommes tous coupables : du milliardaire de Dubaï qui vit 24 heures sur 24 sous climatisation au pauvre paysan africain qui laisse ses chèvres manger les maigres arbustes qui restent autour de son village... Évidemment, le degré de responsabilité n’est pas le même, mais on ne peut pas sacrifier les humains selon leur degré de culpabilité ― sauf à couper des bébés en deux comme s’apprêtait à le faire Salomon !

       La crise climatique universelle d’aujourd’hui n’est pas semblable à toutes les crises mimétiques « classiques » pour l’incontournable raison que, désormais, nous sommes conscients de tout ce qui se passe ! La « résolution sacrificielle » n’est plus possible puisque nous ne pouvons pas faire jouer notre méconnaissance. Peut-être, dès lors, cette crise ne peut-elle pas connaître de résolution, peut-être est-elle vouée à être sans fin. L’Apocalypse au sens de « la fin du monde » en est l’une des réalisations éventuelles et déjà certains se préparent au pire.

       Les seuls sursauts possibles sont de deux ordres.

       Soit un formidable coup d’énergie équivalent à celui qui a suivi les deux Guerres mondiales du XXe siècle : les « années folles », les Trente Glorieuses et l’irrésistible construction européenne. Je crains, hélas, que le désir n’y soit plus*. Les dernières générations semblent à bout de souffle.

       Soit en faisant de notre méconnaissance épuisée un atout. Puisque nous savons ce que nous faisons, servons-nous de notre conscience pleine et entière pour corriger les erreurs, inventer de nouvelles donnes, avancer et prendre des risques.

       Mais la conscience suffira-t-elle ?  La raison peut-elle se dispenser du désir ? Ne commettons pas « l’erreur de Descartes » qui consiste à croire que nous pouvons nous laisser guider par notre seule raison.

       Comment reprendre goût à l’avenir ? Quelle eschatologie devons-nous concevoir ? « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? » (Saint Matthieu 15,13). Le défi du XXIe siècle tient en quelques mots. Il attend depuis 2 000 ans sa réalisation.

     

    * Voir mon essai Crise du désir, L’Harmattan, 2021.

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Shakespeare 

      

    La folie de la vengeance

     

    Young Clifford. –            York not our old men spares ;

    No more will I their babes.

     

    LE JEUNE CLIFFORD. –       York n’épargne pas nos vieillards ;

    Je n’épargnerai pas davantage leurs descendants.

     

    Henry VI, 2ème partie, Acte V, scène 2, vers 51-52.

     

     

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Qui dit-on que je suis ?

     

     

     

    Le mystère s’éclaircit 

     

    Les religieux rejettent leur propre Dieu. Ils n’ont pas compris que le message d'amour venait bouleverser toutes les justifications de la violence du monde antique. Et c’est par un dernier acte violent qu’ils vont signer leur défaite... la Révélation ne peut pas se passer d’une dernière mise en scène du bouc émissaire, le sacrifice de l'« Agneau de Dieu », ce sera la crucifixion.    

                                                                                   (p.141) 

     

    Joël Hillion nous présente sa vision humaniste de Jésus dans Qui dit-on que je suis ? Le mystère Jésus, paru chez l’Harmattan.

       Cet écrivain spécialiste de Shakespeare reste fasciné par le mystère du Christ en sa subversion du religieux, son message d’amour révolutionnaire ou sa posture de bouc émissaire total. Il prolonge la pensée de René Girard en l’amplifiant (il cite des auteurs contemporains en sciences humaines ou littérature), construisant un portrait empli de profond respect pour l’homme-dieu à défaut de pleine foi.

       Malgré le choix d’une linéarité un peu scolaire, la réflexion de ce libre penseur éclaire d’un nouveau jour certains aspects du « fils de l'Homme ».
       Jésus apparaît comme un original désacralisant l’habit (les rites notamment) et la lettre pour l’esprit et un cœur vivant, miséricordieux. C’est son intime compréhension du mécanisme de destruction mutuelle qui l’incite à choisir l’amour du prochain comme seule loi, subissant de facto (Il ne choisit pas de se sacrifier) l’ire des violents. L’effet miroir (un cœur purifié) révèle la nature ou l’essence des êtres, leur laissant le choix d’assumer la conséquence de leurs actes.
       Si Jésus est pour l’auteur l'archétype de l’anti-sacrifice c’est aussi grâce à sa part divine ou son corps-lumière fantastique qui, de bouc émissaire peut transmuer la haine en joie, afin que chacun soit sauf du jugement porté sur lui-même.
       Le sauveur et messie prend ainsi tout son sens pour œuvrer à une harmonisation universelle. 

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • Éducation  

     

     

    Le corps dans la classe (1ère partie) 

     

    Je refuse d’enseigner à des guillotinés, ce serait comme une insulte à ma propre adolescence. 

        La censure que la religion n’a plus moyen aujourd’hui d’imposer, l’école l’exige, c’est à croire qu’elle en a pris le relais. L’école publique peut se montrer plus puritaine que l’école confessionnelle, par mimétisme, par défi, par sottise. Au sortir de l’adolescence, jeune adulte à la mémoire à vif, je me suis retrouvé à enseigner à des guillotinés, des têtes bien séparés des corps. Avec au-dessus de moi, comme une menace, le commandement sacré : les corps sont interdits. Vous pouvez parfaitement gâcher quarante ans de votre vie à abrutir des enfants, vous pouvez les éduquer dans les théories les plus erronées, leur infliger des préceptes imbéciles, ou leur farcir la tête de notions inutiles et obsolètes, vous pouvez les amener à penser de travers, vous pouvez les torturer mentalement autant que vous le voulez, vous pouvez les mépriser, les haïr, les abaisser moralement plus bas que terre, mais n’aventurez pas une main pour relever une mèche de cheveux qui vous empêche de voir les yeux d’un ou d’une de vos élèves, vous allez être soupçonné de toutes les perversités.

        Voilà pour le cadre. Il faut bien fonctionner dedans. Il se trouve, par ailleurs, que vous êtes professeur de langue vivante et que vous n’avez pas envie de passer votre existence à dispenser des abstractions. À partir de là, les données deviennent diablement contradictoires.

       Pour s’approprier une langue, il faut se l’incorporer. Elle doit vous entrer dans la peau. Cela passe par la respiration, par la bouche, par le rythme, par le réflexe, par l’émotion. Sinon, ce n’est pas une langue que vous aurez apprise mais un concept de langue.

        Où est la priorité ? Avant de réfléchir avec votre première langue, avant d’avoir réfléchi sur votre langue maternelle, avant même d’avoir écrit votre premier poème pour la fête des mères, vous avez parlé pour dire votre soif, votre peine, votre gratitude, votre joie et votre douleur ― ou tout simplement, vous avez commencé par appeler votre mère pour qu’elle vous câline. Ce n’est pas un hasard si votre première langue est dite maternelle.

        Je demande régulièrement aux élèves de lire des textes à voix haute. L’exercice est avant tout corporel, j’appelle cela une « mise en bouche ». Il s’agit de rendre physique et vivant ce qui est mort et abstrait sur la page du livre. Une lecture, à haute et intelligible voix, si elle est bien pratiquée, vous dispense de toute explication ultérieure. Il m’arrive d’aborder un texte par un exercice méthodique de lecture. Une fois qu’il vous est passé par la bouche, il n’y a plus grand-chose à en dire. Après que le texte a été assimilé par votre corps, la tête aussi est pleine.

        

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire
  • La violence et le pouvoir

     

     

     

    Arme automatique

     

    Un individu porteur d’une arme automatique n’est plus un homme. C’est une menace. C’est un tueur potentiel. Il n’existe que dans sa capacité de donner la mort. Il est imbu de sa violence. Il est aveugle. Il a abandonné sa conscience dans l’arsenal où il s’est approvisionné.

       S’il est « au service d’une cause », c’est encore pire. Le peu d’intelligence qu’il lui restait s’est dissous dans l’autorité qui le « justifie ». Il n’est plus capable de jugement, encore moins d’empathie.

       300 000 000 d’armes à feu circulent aux États-Unis pour une population de 333 000 000 d’habitants. Les tueries de masse, les règlements de comptes, ne sont pas des accidents, mais la conséquence logique d’une idéologie violente dans un pays qui se croit encore « chrétien ». C’est Satan contre Satan, c’est-à-dire l’Enfer, la misère absolue, d’autant plus affligeante que c’est une autopunition.

     

    Partager via Gmail Yahoo! Google Bookmarks

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique