• Shakespeare 

     

     

    Le ‘degree’ 

     

    Conclusion explicite d’Ulysse : 

     

    Ulyss.              Great Agamemnon,
    This chaos, when degree is suffocate,
    Follows the choking.
    And this neglection of degree it is,
    That by a pace goes backward, with a purpose
    It hath to climb. The general’s disdain’d
    By him one step below ; he, by the next ;
    That next, by him beneath ; so, every step,
    Exampled by the first pace that is sick
    Of his superior, grows to an envious fever
    Of pale and bloodless emulation. 

     

    ULYSSE.               Grand Agamemnon,

    Quand la bonne échelle est exsangue,

    C’est le chaos qui s’ensuit.

    Cet écart de la mesure est tel

    Qu’il revient à reculons et progresse

    Jusqu’au sommet. Le général est méprisé,

    Lui qui a méprisé son inférieur, qui lui-même méprise le suivant,

    Et le suivant celui qui lui est inférieur. À chaque étape,

    À l’exemple de celui qui a été contaminé

    Par son supérieur, grossit la fièvre de l’envie

    Dans une pâle et creuse compétition.

     

                                                  Troïlus et Cressida, I, 3, 125-134.

     

    Ulysse semble tout savoir sur le mimétisme, sur la crise mimétique, sur la rivalité des pairs, sur l’indifférenciation et sur la méconnaissance.

     

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  • Bonnes feuilles

     

     

    Qui dit-on que je suis ?

     

    Tout se passe comme si rien n’avait été écrit d’avance. « Si cette coupe peut s’éloigner de moi... », s’exclame [Jésus], quand l’heure de sa mort approche, alors qu’il a tout « prédit », qu’il sait avec une certitude courageuse que le sacrifice va tomber sur lui. Ses angoisses à Gethsémani (Matthieu 26, 36-46), ne sont pas feintes. Les Évangiles sont évidemment écrits par des témoins postérieurs qui savent ce qui s’est passé, et la Passion, et la mort, et la Résurrection. Mais pour Jésus, c’est la première fois ! La folie du sacrifice n’est pas « déterminée » comme suivant un théorème. Dieu n’est pas un mécanisme d’horlogerie. La grâce est toujours possible. Le drame de Jésus, et avec lui le drame de l’humanité, c’est que la grâce n’est pas venue, sur un plateau, aux humains de ce temps-là, ni à ceux des temps qui ont suivi. « Ce que tu as à faire, fais-le vite ! », supplie-t-il (Jean 13, 27), implorant l’intervention de Judas. Mais le temps continue d’avancer très lentement.

     

    Extrait de mon essai paru chez L’Harmattan, 2024.

     

     

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  • Chanson

     

     

    Les trois bons Samaritains 

         Elle est à toi, cette chanson
         Toi, l’Auvergnat qui, sans façon
         M’as donné quatre bouts de bois
         Quand dans ma vie il faisait froid
         Toi qui m’as donné du feu quand
         Les croquantes et les croquants
         Tous les gens bien intentionnés
         M’avaient fermé la porte au nez

         Ce n’était rien qu’un feu de bois
         Mais il m’avait chauffé le corps
         Et dans mon âme il brûle encore
         À la manière d’un feu de joie
     

         Toi, l’Auvergnat quand tu mourras
         Quand le croque-mort t’emportera
         Qu’il te conduise, à travers ciel
         Au Père éternel
     

         Elle est à toi, cette chanson
         Toi, l’hôtesse qui sans façon
         M’as donné quatre bouts de pain
         Quand dans ma vie il faisait faim
         Toi qui m’ouvris ta huche quand
         Les croquantes et les croquants
         Tous les gens bien intentionnés
         S’amusaient à me voir jeûner

         Ce n’était rien qu'un peu de pain
         Mais il m’avait chauffé le corps
         Et dans mon âme il brûle encore
         À la manière d’un grand festin
     

         Toi l’hôtesse quand tu mourras
         Quand le croque-mort t’emportera
         Qu’il te conduise à travers ciel
         Au Père éternel
     

         Elle est à toi cette chanson
         Toi, l’étranger qui sans façon
         D’un air malheureux m’as souri
         Lorsque les gendarmes m’ont pris
         Toi qui n'as pas applaudi quand
         Les croquantes et les croquants
         Tous les gens bien intentionnés
         Riaient de me voir amené

         Ce n’était rien qu’un peu de miel
         Mais il m’avait chauffé le corps
         Et dans mon âme il brûle encore
         À la manière d’un grand soleil
     

         Toi l’étranger quand tu mourras
         Quand le croque-mort t’emportera
         Qu’il te conduise, à travers ciel
         Au Père éternel

     

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  • La violence sans le sacré

     

     

    Sacrifice sans bénéfice

     

    La théorie des « épreuves qui nous rendent plus forts » fleurit à qui mieux mieux sur les réseaux sociaux. Elle est le pendant de la théorie du Moi-Je souverain qui se « construit » tout seul. Elle est le reflet de l’idéologie courante de l’individualisme moderne. Et pourtant, elle traîne derrière elle des relents archaïques de sacrifice et de renoncement. C’est la vieille antienne du mal d’où peut sortir un bien.

       Appliquée à l’éducation, cette théorie est désastreuse. Longtemps l’éducateur a suivi la maxime « qui aime bien châtie bien », et il croyait qu’il devait faire souffrir ses élèves pour qu’ils progressent. L’adoucissement des mœurs est venu à bout de cette cruauté injustifiée. La souffrance endurée n’enseigne qu’à souffrir, et rien d’autre. D’où vient, alors, que ce vieux réflexe sacrificiel fasse encore recette ? Alors qu’on ne l’applique plus à autrui sous peine de harcèlement et autres anathèmes, les petits selfiques se s’infligent à eux-mêmes. La « morale » s’est apparemment intériorisée. À moins que cela ne soit que pur masochisme autre versant de l’individualisme aveugle.

     

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  • Désacralisation

     

    La fin de l’Histoire

     

    On s’est moqué, on se moque encore, de la proposition de Francis Fukuyama (1992) selon laquelle nous aurions atteint, avec la chute de l’empire soviétique, « la fin de l’histoire ». Évidemment, la disparition du communisme réel (et encore pas partout) ne s’est pas accompagnée du triomphe du capitalisme et de l’avènement de la paix sur la Terre. Le capitalisme a connu plusieurs crises sérieuses depuis 30 ans (la plus grave ayant eu lieu entre 2008 et 2012) et la paix, c’est le moins qu’on puisse dire, est loin, très loin de tout accomplissement. La guerre est partout.

       On peut alors s’interroger : dans quelle espèce d’histoire sommes-nous entrés ? Nous avons progressé dans la compréhension de la vanité et de la vacuité de la violence, mais on nous offre encore quotidiennement le spectacle de guerres avec de vrais chars, de vrais soldats et de vrais morts... tandis que la méconnaissance craque de partout. Nous sommes dans un entre-deux tragique, un peu risible, révélateur d’une mutation radicale. La « conversion » s’ébauche péniblement mais sûrement. Nous avons changé de siècle, presque de millénaire, mais manifestement nous n’avons pas encore perdu nos réflexes agressifs. La coexistence de la violence et de sa désacralisation est caractéristique de l’Apocalypse. C’est le passage, par l’absurde, de la Révélation à la Lumière.

     

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