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Par hillion le 28 Mars 2024 à 09:56
Shakespeare
Le ‘degree’
Conclusion explicite d’Ulysse :
Ulyss. Great Agamemnon,
This chaos, when degree is suffocate,
Follows the choking.
And this neglection of degree it is,
That by a pace goes backward, with a purpose
It hath to climb. The general’s disdain’d
By him one step below ; he, by the next ;
That next, by him beneath ; so, every step,
Exampled by the first pace that is sick
Of his superior, grows to an envious fever
Of pale and bloodless emulation.ULYSSE. ― Grand Agamemnon,
Quand la bonne échelle est exsangue,
C’est le chaos qui s’ensuit.
Cet écart de la mesure est tel
Qu’il revient à reculons et progresse
Jusqu’au sommet. Le général est méprisé,
Lui qui a méprisé son inférieur, qui lui-même méprise le suivant,
Et le suivant celui qui lui est inférieur. À chaque étape,
À l’exemple de celui qui a été contaminé
Par son supérieur, grossit la fièvre de l’envie
Dans une pâle et creuse compétition.
Troïlus et Cressida, I, 3, 125-134.
Ulysse semble tout savoir sur le mimétisme, sur la crise mimétique, sur la rivalité des pairs, sur l’indifférenciation et sur la méconnaissance.
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Par hillion le 24 Mars 2024 à 09:57
Bonnes feuilles
Qui dit-on que je suis ?
Tout se passe comme si rien n’avait été écrit d’avance. « Si cette coupe peut s’éloigner de moi... », s’exclame [Jésus], quand l’heure de sa mort approche, alors qu’il a tout « prédit », qu’il sait avec une certitude courageuse que le sacrifice va tomber sur lui. Ses angoisses à Gethsémani (Matthieu 26, 36-46), ne sont pas feintes. Les Évangiles sont évidemment écrits par des témoins postérieurs qui savent ce qui s’est passé, et la Passion, et la mort, et la Résurrection. Mais pour Jésus, c’est la première fois ! La folie du sacrifice n’est pas « déterminée » comme suivant un théorème. Dieu n’est pas un mécanisme d’horlogerie. La grâce est toujours possible. Le drame de Jésus, et avec lui le drame de l’humanité, c’est que la grâce n’est pas venue, sur un plateau, aux humains de ce temps-là, ni à ceux des temps qui ont suivi. « Ce que tu as à faire, fais-le vite ! », supplie-t-il (Jean 13, 27), implorant l’intervention de Judas. Mais le temps continue d’avancer très lentement.
Extrait de mon essai paru chez L’Harmattan, 2024.
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Par hillion le 21 Mars 2024 à 09:58
Chanson
Les trois bons Samaritains
Elle est à toi, cette chanson
Toi, l’Auvergnat qui, sans façon
M’as donné quatre bouts de bois
Quand dans ma vie il faisait froid
Toi qui m’as donné du feu quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
M’avaient fermé la porte au nezCe n’était rien qu’un feu de bois
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
À la manière d’un feu de joieToi, l’Auvergnat quand tu mourras
Quand le croque-mort t’emportera
Qu’il te conduise, à travers ciel
Au Père éternelElle est à toi, cette chanson
Toi, l’hôtesse qui sans façon
M’as donné quatre bouts de pain
Quand dans ma vie il faisait faim
Toi qui m’ouvris ta huche quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
S’amusaient à me voir jeûnerCe n’était rien qu'un peu de pain
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
À la manière d’un grand festinToi l’hôtesse quand tu mourras
Quand le croque-mort t’emportera
Qu’il te conduise à travers ciel
Au Père éternelElle est à toi cette chanson
Toi, l’étranger qui sans façon
D’un air malheureux m’as souri
Lorsque les gendarmes m’ont pris
Toi qui n'as pas applaudi quand
Les croquantes et les croquants
Tous les gens bien intentionnés
Riaient de me voir amenéCe n’était rien qu’un peu de miel
Mais il m’avait chauffé le corps
Et dans mon âme il brûle encore
À la manière d’un grand soleilToi l’étranger quand tu mourras
Quand le croque-mort t’emportera
Qu’il te conduise, à travers ciel
Au Père éternel
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Par hillion le 20 Mars 2024 à 09:57
La violence sans le sacré
Sacrifice sans bénéfice
La théorie des « épreuves qui nous rendent plus forts » fleurit à qui mieux mieux sur les réseaux sociaux. Elle est le pendant de la théorie du Moi-Je souverain qui se « construit » tout seul. Elle est le reflet de l’idéologie courante de l’individualisme moderne. Et pourtant, elle traîne derrière elle des relents archaïques de sacrifice et de renoncement. C’est la vieille antienne du mal d’où peut sortir un bien.
Appliquée à l’éducation, cette théorie est désastreuse. Longtemps l’éducateur a suivi la maxime « qui aime bien châtie bien », et il croyait qu’il devait faire souffrir ses élèves pour qu’ils progressent. L’adoucissement des mœurs est venu à bout de cette cruauté injustifiée. La souffrance endurée n’enseigne qu’à souffrir, et rien d’autre. D’où vient, alors, que ce vieux réflexe sacrificiel fasse encore recette ? Alors qu’on ne l’applique plus à autrui sous peine de harcèlement et autres anathèmes, les petits selfiques se s’infligent à eux-mêmes. La « morale » s’est apparemment intériorisée. À moins que cela ne soit que pur masochisme ― autre versant de l’individualisme aveugle.
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Par hillion le 18 Mars 2024 à 10:31
Désacralisation
La fin de l’Histoire
On s’est moqué, on se moque encore, de la proposition de Francis Fukuyama (1992) selon laquelle nous aurions atteint, avec la chute de l’empire soviétique, « la fin de l’histoire ». Évidemment, la disparition du communisme réel (et encore pas partout) ne s’est pas accompagnée du triomphe du capitalisme et de l’avènement de la paix sur la Terre. Le capitalisme a connu plusieurs crises sérieuses depuis 30 ans (la plus grave ayant eu lieu entre 2008 et 2012) et la paix, c’est le moins qu’on puisse dire, est loin, très loin de tout accomplissement. La guerre est partout.
On peut alors s’interroger : dans quelle espèce d’histoire sommes-nous entrés ? Nous avons progressé dans la compréhension de la vanité et de la vacuité de la violence, mais on nous offre encore quotidiennement le spectacle de guerres avec de vrais chars, de vrais soldats et de vrais morts... tandis que la méconnaissance craque de partout. Nous sommes dans un entre-deux tragique, un peu risible, révélateur d’une mutation radicale. La « conversion » s’ébauche péniblement mais sûrement. Nous avons changé de siècle, presque de millénaire, mais manifestement nous n’avons pas encore perdu nos réflexes agressifs. La coexistence de la violence et de sa désacralisation est caractéristique de l’Apocalypse. C’est le passage, par l’absurde, de la Révélation à la Lumière.
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