-
Par hillion le 21 Janvier 2024 à 11:43
Le bon Samaritain perverti
Monsieur Perrichon
Le Voyage de Monsieur Perrichon est une comédie d’Eugène Labiche et Édouard Martin, représentée pour la première fois à Paris le 10 septembre 1860.
L’histoire débute à Paris, gare de Lyon. M. Perrichon, sa femme et sa fille, prennent pour la première fois le train, pour aller en vacances à Chamonix, à la Mer de Glace. À la gare, ils sont abordés par deux jeunes hommes, Armand Desroches et Daniel Savary, charmés par la fille de M. Perrichon, qui les avait rencontrés à un bal, peu avant.
Une lutte loyale mais acharnée commence entre les deux jeunes hommes, chacun voulant faire route avec la famille Perrichon pour gagner sa confiance et son affection, et ainsi la main d'Henriette.
À la Mer de Glace, Armand Desroches sauve la vie de Monsieur Perrichon tombé de cheval, et en est chaleureusement félicité par la famille, mais l'évocation de l'épisode semble gêner le beau-père en puissance. Voyant cela, Daniel Savary a une idée : il fait semblant de tomber dans une grotte et se fait sauver par M. Perrichon qui, très fier de lui, le prend désormais en affection et sous sa protection.
*
L’analyse mimétique de la pièce est facile à faire. Les deux jeunes prétendants entrent en rivalité pour les beaux yeux d’Henriette. Et le « duel » se déroule par le truchement du papa — à l’époque, c’était encore le père qui décidait qui devait épouser sa fille !
L’originalité de l’intrigue tient dans l’inversion de la séduction. Armand croit, naïvement, que Monsieur Perrichon lui sera reconnaissant de l’avoir sauvé. Il compte sur sa « gratitude naturelle ». Daniel renverse la situation et « se fait sauver » par le papa. Monsieur Perrichon n’en ressent pas autre chose que de l’orgueil. Il s’aime lui-même et, par ricochet, se prend d’affection pour Daniel.
Dans le premier cas, « le bon Samaritain », c’était Armand. Mais il ne parvient pas à se faire aimer. Dans le deuxième cas, « le bon Samaritain », c’est Monsieur Perrichon. Mais au lieu « d’aimer » son sauveur, Daniel sait qu’il peut en espérer un retour gratifiant.
Labiche et Martin jouent habilement de la parabole du bon Samaritain, pour un public bourgeois parisien du XIXe siècle suffisamment christianisé. Mais en retournant la situation, ils inversent aussi la « morale » : la gratitude ne vaut rien, seul l’intérêt paie. On peut dire qu’il s’agit là d’une perversion du message chrétien... dans un XIXe siècle capitaliste, « confit en dévotions », mais obnubilé par l’argent.
votre commentaire -
Par hillion le 6 Janvier 2024 à 11:14
Enfance
L’enfance ne s’arrête jamais
Le trait caractéristique de la jeunesse, voire de l’enfance, c’est d’être dépendante, toujours en lien avec son entourage, surtout en lien affectif. Chez les animaux, l’enfance est courte, et le « jeune adulte » est rapidement prié de se débrouiller tout seul. Certains oiseaux poussent même leurs petits hors du nid quand ils considèrent que « c’est l’heure de voler de ses propres ailes ».
Chez les mammifères supérieurs, la sociabilité dure plus longtemps, la meute persiste, et l’épouillage des grands singes, par exemple, reste une pratique presque constante.
Chez les mammifères humains, l’enfance ne s’arrête jamais. Alors que nous devrions cesser toute alimentation lactée après le sevrage, nous continuons de consommer du lait sous forme d’une infinité de dérivés jusqu’à nos derniers jours : fromages, yaourts, etc. L’activité cérébrale, intense chez le nourrisson, puis jusqu’à la puberté, se prolonge et certains artistes arrivent à être créatifs, inventifs, jusqu’à un âge remarquable. Chagall peignait encore à 98 ans !
Boris Cyrulnik a montré, avec d’autres éthologues, que la relation est indispensable à la « construction » de l’individu. Un petit d’homme, comme un jeune chimpanzé, privé de lien affectif, dépérit, ou pire, se laisser mourir. Chez les humains, cette absolue nécessité du lien doit durer toute son existence.
Je ne cesse de répéter, depuis mes premiers essais sur l’éducation, que nous sommes nos liens. C’est pourquoi l’idéologie de l’autonomie forcenée de mes contemporains, l’obsession selfique du Moi-Je, la pseudo-bulle de sécurité dans laquelle chacun s’enferme, sa « zone de confort », sont mortifères : littéralement, elles vont à l’encontre de ce que la nature et la culture conjuguées « avaient prévu ».
votre commentaire -
Par hillion le 25 Décembre 2023 à 18:34
25 décembre 1923
Naissance de René Girard
Né le jour de Noël, et prénommé René, il était presque « écrit » qu’il devait devenir le grand penseur chrétien qu’il a été. Plus que cela, il a influencé tout le XXe siècle, sur tous les continents, avec sa découverte de la théorie mimétique et la mise au jour de la révélation judéo-chrétienne.
J’ai découvert René Girard en 1978, grâce à la lecture Des choses cachées depuis la fondation du monde. Je peux dire que cette lecture a été un choc, un ébranlement complet de ma personne. Je n’ai plus vu le monde, ni pensé mon destin, de la même façon. Et chaque fois que je retourne à ces textes, je suis stupéfait par leur puissance de « révélation ».
Mon blog se nourrit de sa pensée*. Toute ma recherche sur Shakespeare est teintée de son intelligence. Mon deuxième choc littéraire a été la lecture de Shakespeare, Les feux de l’envie, en 1991. Et tout s’est mélangé, harmonisé, complété de façon sublime : la fulgurance de Shakespeare mise en évidence par l’éclat extraordinaire de la révélation girardienne. Je m’étonne encore tous les jours de vivre dans la lumière de ces deux immenses pensées.
J’ai eu la chance d’échanger quelques courriers avec mon « grand homme », et j’ai pu le rencontrer plusieurs fois à Paris. Il a manifesté, à ces occasions, que mon travail l’avait intéressé. Ma petite mesure est évidemment loin de l’immense influence qu’il a eue sur moi... et sur tant d’autres.
Il aurait 100 ans aujourd’hui. Sa pensée résistera pour longtemps.
* Voir L’homme et l’œuvre à la page 50.
votre commentaire -
Par hillion le 23 Décembre 2023 à 10:10
James Joyce
Jongler avec les chiffres
« On fait tout ce qu’on veut en jonglant avec les chiffres. On découvre que toujours ceci égale cela. »
Ulysse, 1922.
votre commentaire -
Par hillion le 8 Décembre 2023 à 10:29
Shakespeare
Par la vertu de mes écrits
Or I shall live your Epitaph to make,
Or you survive when I in earth am rotten,
From hence your memory death cannot take,
Although in me each part will be forgotten.
Your name from hence immortal life shall have,
Though I (once gone) to all the world must die :
The earth can yield me but a common grave,
When you intombèd in men’s eyes shall lie.
Your monument shall be my gentle verse,
Which eyes not yet created shall o’er-read,
And tongues to be your being shall rehearse,
When all the breathers of this world are dead.
You still shall live (such virtue hath my Pen)Where breath most breathes, even in the mouths of men.
Ou je vivrai pour écrire votre épitaphe,
Ou vous me survivrez quand je serai sous terre.
D’ici, la mort ne peut ravir votre mémoire,
Alors que je serai oublié tout entier.
Votre nom restera immortel ici-bas,
Tandis que je serai bien mort pour tout le monde.
La terre m’offrira une tombe commune,
Quand vous reposerez au fond des yeux des hommes.
Vous aurez pour tombeau ma douce poésie
Que des yeux, non encore ouverts, liront sans fin,
Et des voix à venir rediront qui vous êtes,
Quand seront morts ceux qui respirent aujourd'hui.
Par la vertu de mes écrits, vous vivrez donc
Là où souffle la vie : sur les lèvres des hommes.
sonnet 81
votre commentaire
Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique