• Notes de lecture

     

         Vers la « civilisation de l’universel »,

         essai de Souleymane Bachir Diagne

     

    « La sarabande des cultures innombrables et équivalentes, chacune se justifiant dans son propre contexte, crée un monde, certes, dés-occidentalisé, mais aussi un monde désorienté. » (1)

       Notre monde, en se désacralisant, a non seulement perdu ses repères, il a aussi perdu sa « direction ». Nous voyons bien tout ce qui se fissure, disparaît, et s’effondre avec la perte du sacré, mais nous ne voyons plus l’issue. La notion même de progrès est devenue obsolète. Comme si nous avions, en relativisant toutes nos valeurs, dévalué l’essentiel : que nous sommes tous ensemble d’une seule espèce, et elle est vulnérable. 

       Le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne(2), bon lecteur de Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Pierre Teilhard de Chardin, vient de publier un ouvrage majeur sur la notion d’universel. Il nous rappelle nos fondamentaux, et bouscule nos petits discours sur « les diversités ».  Il ne vient pas nous resservir la compote indigeste du mélange des cultures et autres « droits à la différence » ; il vise, comme le poète sénégalais, « la civilisation de l’universel ». Il se demande aussi, après Aimé Césaire, comment « fonder l’humanisme universel ». Il a compris que « quand l’agora n’est plus que l’espace de performances identitaristes, le sens lui-même se brise en fragments ». Comment sortir d’un « monde de tribus » ? Il admet que l’universalité que nous visons ne peut pas « construire sa légende sur le grand partage de l’humanité, mais seulement sur une humanité partagée ». Toute la différence est là ! Comment endiguer, et diriger vers « un monde plus beau », cette vague de fond de l’espèce humaine, depuis ses origines, comment atteindre son unité parfaite ? « Après l’hominisation de la planète, l’Homme a la responsabilité de son humanisation », dit-il. Sans le dire explicitement, il évoque l’Oméga de Teilhard de Chardin.

       Parlant de décentrement nécessaire, il insiste : « L’ethnologue qui découvre une civilisation comme civilisation […] effectuera aussi un retour sur soi et sur sa propre situation culturelle. Ceux et celles qu’il avait d’abord vus comme autres pourront maintenant lui apparaître comme mêmes. »

       La question du désir se pose donc. Les civilisations passées se sont toutes constituées dans la rivalité et les guerres, par opposition les unes aux autres, ne nous laissant aucun moyen de concevoir de fondements culturels communs. Nous avons renoncé (au moins, un bon nombre d’entre nous) à la violence aveugle, et nous cherchons pour quoi nous battre ? Il s’agit, propose Souleymane Bachir Diagne, d’« avoir conscience du monde et [d’] en avoir envie ». La formule est redoutablement simple. Comment faire « cause commune » ? Avec quels moyens ? La question est fondamentale. La réponse est lumineuse et évidente : par nos moyens propres. Le sous-titre de l’ouvrage de Souleymane Bachir Diagne en dit long : « L’humanité par les moyens d’humanité ». Il est inspiré du proverbe sénégalais « NITT, NITTAY GARABAM » qu’on peut traduire par « L’humain est le remède de l’humain. » Cela renvoie à l’incontournable Ubuntu vanté par Nelson Mandela. Les solutions viennent de partout. « Maintenant que l’universel est vraiment là, on ne veut pas le reconnaître », avait reconnu René Girard. Cet aveuglement est fatal.

       L’avenir n’est pas devant nous, il est au-dessus de nous. Et il va falloir viser haut. C’est pourquoi le philosophe conclut avec ses belles paroles de Blaise Pascal : « L’homme passe infiniment l’homme. » 

     

    (1) Emmanuel Levinas, Humanisme de l’autre homme. 

    (2) Souleymane Bachir Diagne, Universaliser, « L’humanité par les moyens d’humanité », Éditions Albin Michel, 2024.

     

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