• Exercice d’écriture

     

    Qu’est que la représentation ?

    À propos de Récit d’une passion*

     

    Mes romans ont eu des accouchements difficiles. Autant certains essais ont pu être écrits en quelques mois, autant la fiction me prend des années. Plusieurs années pour Sans avoir jamais été innocents**. Presque une trentaine pour Une île sur le fleuve***. Près de quarante pour Récit d’une Passion. Il a été commencé au milieu des années 1980, au temps où se situe l’intrigue. Autant dire qu’il y a peu d’espoir que j’écrive encore un roman : je n’aurai pas le temps.

     

       Le thème quasi-central du Récit est celui de la représentation. C’est quand mon roman a l’air réaliste que la représentation est la plus trompeuse.

          ― C’est drôle ! dit Emmanuel. Les tableaux [de Philippe] sont une représentation de moi qui suis une reproduction de toi...

     

       J’ai poussé plus loin la problématique avec la représentation du corps. Mon roman s’appelait, au départ, Et incarnatus est. Invendable.

       C’est au corps que s’attache le désir, et là tout devient explosif. Tant que l’on aime une image, on ne prend aucun risque. Guillaume vit longtemps une vie tranquille comme « amateur d’art », amateur d’images. C’est sans danger. La première chose qu’il fait avec Emmanuel c’est de le photographier, c’est-à-dire de le changer en image. Illusion dérisoire ! Car dès que l’image commence à s’animer, le monde bascule. Surtout si l’image n’est plus à distance, comme dans l’art, mais qu’elle se rapproche.  

       J’ai mis beaucoup de temps à « abolir la distance » entre le fils et le père idolâtre. Déjà, ils ont vécu séparément pendant quinze ans, sans se connaître. Ensuite, Guillaume se débat comme un beau diable pour ne pas prendre son fils en charge. Je suis obligé de faire tomber Emmanuel malade (son hépatite) pour que Guillaume n’ait plus le choix : il doit s’occuper du corps d’Emmanuel. J’aurais pu envoyer Emmanuel à l’hôpital, mais je ne l’ai pas fait.

       Ce n’est pas à ce moment-là que Guillaume s’en éprend irréversiblement. C’est pendant les vacances dans le Luberon, au moment où Emmanuel est happé par d’autres (toute la famille Oraison). On prive Guillaume de son idole, elle ne lui appartient plus, il ne peut plus contenir son désir. C’est le commencement de son « chemin de croix ». 

       Jusqu’où peut-on s’approcher d’un corps avant de disparaître soi-même ?

     

       Les passions des personnages peuvent échapper à l’auteur et c’est alors qu’il fait ce qu’il peut pour récupérer l’intrigue. S’il laisse libre cours aux passions, il ne maîtrise plus rien. S’il impose un dénouement, le roman devient une thèse. Dans la rédaction du Récit d’une Passion, c’est Emmanuel qui m’a le plus échappé. D’une certaine façon, les adultes autour de lui sont « conformes ». Mais, comme son père au début du récit, je « ne savais pas comment le prendre ». Je me suis donné une seule règle : je ne voulais pas en faire un rebelle, un garçon en plein âge ingrat et dans sa crise d’adolescence... Ça aurait été trop facile. En en faisant un personnage résilient, souple et adaptable, je ne savais pas où il allait aller. Pas facile de « tuer » un personnage aussi fluide...

     

    * voir page 41.

    ** voir page 50.

    *** voir page 48.

     

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