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Shakespeare
RSC 2018
‘to double business bound’
La tirade du roi Claudius (dans Hamlet, acte III, scène 3, vers 36 à 72) mérite d’être lue dans son intégralité. Mieux que le fameux monologue d’Hamlet (‘To be or not to be’), il apporte au problème de la conscience un éclairage exceptionnel. La conscience du roi se noue sur elle-même jusqu’à ce qu’il comprenne qu’ il ne pourra pas être pardonné. Sa foi est trop faible.
Claudius. Oh, my offence is rank. It smells to heaven.
It hath the primal eldest curse upon ’t,
A brother’s murder. Pray can I not.
Though inclination be as sharp as will,
My stronger guilt defeats my strong intent,
And, like a man to double business bound,
I stand in pause where I shall first begin,
And both neglect.
[…] Whereto serves mercy
But to confront the visage of offence?
And what’s in prayer but this twofold force,
To be forestallèd ere we come to fall
Or pardoned being down? Then I’ll look up.
My fault is past. But oh, what form of prayer
Can serve my turn, “Forgive me my foul murder”?
That cannot be, since I am still possessed
Of those effects for which I did the murder:
My crown, mine own ambition, and my queen.
May one be pardoned and retain th' offense?
In the corrupted currents of this world
Offense’s gilded hand may shove by justice,
And oft ’t is seen the wicked prize itself
Buys out the law. But ’t is not so above.
There is no shuffling. There the action lies
In his true nature, and we ourselves compelled,
Even to the teeth and forehead of our faults,
To give in evidence. What then? What rests?
Try what repentance can. What can it not?
Yet what can it when one can not repent?
O wretched state! O bosom black as death!
O limèd soul that, struggling to be free,
Art more engaged ! Help, angels. Make assay.
Bow, stubborn knees, and, heart with strings of steel,
Be soft as sinews of the newborn babe.
All may be well.
CLAUDIUS. – Ah, ma faute pue, elle sent jusqu’au ciel.
Sur elle tombe la première et plus ancienne malédiction :
Celle du meurtre d’un frère ! Prier, j’en suis incapable,
Bien que j’en aie le désir autant que la volonté.
Ma faute est trop grande, elle anéantit toute résolution.
Et comme un homme engagé dans deux actions à la fois,
J’hésite en ignorant par laquelle commencer,
Et n’en accomplis aucune.
[…] À quoi sert la grâce
Sinon à regarder le péché en face ?
La prière ne contient-elle pas cette double force,
Celle de nous retenir avant la chute,
Et celle de nous pardonner quand nous avons chuté ? Franchement !
Ma faute, c'est du passé. Mais quelle forme de prière
Peut me sauver, là où j’en suis ? Absoudre mon meurtre épouvantable !
C’est impossible, puisque je possède encore
Les bénéfices du meurtre que j’ai commis :
Ma couronne, mon ambition, ma reine.
Peut-on être pardonné et être toujours fautif ?
Dans ce monde où la corruption est quotidienne,
La main coupable mais riche fait parfois dévier la justice :
On voit souvent le prix du crime ignoble
Acheter la loi. Mais il en va autrement là-haut.
Là, pas de contestation, là, l’action s’expose
Dans sa vraie nature ; et nous sommes obligés,
Devant les fautes qui nous éclaboussent,
De reconnaître l’évidence. Et ensuite ? Que reste-t-il ?
Essayer le repentir ; de quoi n’est-il pas capable ?
Mais de quoi est-il capable quand on est incapable de se repentir ?
Ô, misérable condition ! Ô, le cœur noir comme la mort !
Ô mon âme tout engluée, en te débattant pour être libre,
Tu t’enfonces davantage ! Au secours, les anges ! Faites quelque chose.
Vous, mes deux genoux raidis, pliez-vous ; et toi, cœur d’acier,
Assouplis-toi comme les membres d’un nouveau-né,
Tout n’est peut-être pas perdu.
Hamlet l’observe et pense que c’est le bon moment pour tuer l’assassin de son père. Puis il se reprend, estimant que le roi est en état de grâce et que s’il meurt, il va tout droit au paradis. Mais nous, qui sommes dans la conscience de Claudius, nous savons que ce n’est pas le cas. Claudius se relève et dit (vers 97-98) :
Claudius. My words fly up, my thoughts remain below.
Words without thoughts never to heaven go.
CLAUDIUS. – Mes paroles s’envolent, mes pensées restent ici-bas.
Des mots auxquels on ne pense pas n’atteignent jamais le ciel.
À quoi sert la conscience ?
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